J’ai connu Gérald Hervé en
octobre 1942 à la rentrée qui fit de nous deux, en compagnie de Robert
Bonnaud, Alain Michel et quelques autres, des élèves de Léon Auger,
admirable professeur de français, latin et grec. Ses yeux bleus de
Breton tranchaient sur les yeux bruns de la plupart de nos camarades,
mais surtout sa maison du vallon de l’Oriol faisait de lui un homme de
la mer qu’il contemplait inlassablement depuis sa terrasse au-dessus de
la Corniche. Nous nous répétions inlassablement le Cimetière marin
de Paul Valéry,
Et vous, grande âme,
espérez-vous un songe
Qui n’aura plus ces
couleurs de mensonge
Qu’aux yeux de chair
l’onde et l’or font ici ?
Chanterez-vous quand
vous serez vaporeuse ?
Allez ! Tout fuit ! Ma
présence est poreuse,
La sainte impatience
meurt aussi…
Nous ne savions pas alors
que cette association de l’onde et de l’or venait de la première
Olympique de Pindare. Nous ne savions même pas que Pindare avait existé.
Nous étions solidaires, Hervé et moi, devant l’invasion de la zone
«libre». Nous souhaitions la victoire des Anglais. Gérald haïssait
Vichy.
Son grand-père avait été
le précepteur de Valéry Larbaud. Gérald tenait de lui maintes anecdotes.
Il avait surtout hérité d’une vaste bibliothèque. Bonnaud disait : «Ce
type-là est heureux.» Gérald me montra sa solidarité lorsque mes parents
furent arrêtés le 15 mai 1944.
Jusqu’à sa mort il est
resté mon ami, même si cette amitié fut traversée de crises. Bonnaud et
moi étions présents, à Marseille, quand ses cendres furent jetées au
large du Frioul.
Pierre
VIDAL-NAQUET
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